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Martinique et Guyane, deux laboratoires enrichissants de l’évolution institutionnelle des territoires

Il y a plusieurs mois je m’étais engagé à rendre visite aux collègues de gauche aux responsabilités dans les départements ou collectivités d’Outre mer. Le mois de juillet m’a permis de tenir parole et de me rendre en Martinique, en Guadeloupe puis en Guyane.

Ce fut l’occasion de découvrir les spécificités de ces territoires français d’Amérique, mais aussi d’appréhender les mutations engagées en Martinique et en Guyane suite aux fusion des régions et départements.
Ces deux nouvelles collectivités conservent leur fondement juridique dans l’article 73 de la constitution impliquant que « (…) les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ». Pour autant, les deux collectivités ont des profils et des organisations différentes.

C’est d’ailleurs cet aspect qu’il me semble important de spécifier. En effet, alors que l’avenir des départements est souvent questionné, les cas pratiques de ces deux collectivités peuvent nous éclairer sur les organisations de substitutions déjà effectives, leurs réussites et leurs écueils.

La collectivité territoriale de Martinique (CTM), approuvée lors d’un référendum local à 68,30 % le 24 janvier 2010 est composée d’un exécutif de 9 membres et d’une assemblée de 51 membres. Les 51 membres de l’assemblée sont élus au scrutin de liste dans une circonscription unique composée de 4 sections (identique aux régionales en métropole).

La spécificité de la CTM réside dans le fait que l’exécutif, qui dirige la collectivité est composé de 9 membres issus de l’Assemblée mais qui ne sont plus, à compter de leur élection à ce poste, membres de l’Assemblée. De son côté l’Assemblée conserve le pouvoir de régler les affaires de la collectivité par ses délibérations, reste théoriquement l’interlocuteur du Gouvernement et seule compétente pour délibérer concernant l’évolution institutionnelle de la collectivité.

Cette différenciation des deux organes, délibératif et exécutif, est une spécificité qui induit un véritable changement de pratiques politiques et administratives mais aussi d’appréhension des institutions par les citoyens.

En Guyane, le schéma est plus simple, la collectivité territoriale de Guyane (CTG), approuvée à 57,48 % le 24 janvier 2010 par référendum local est composée de 51 membres qui eux même élisent un président et une commission permanente. L’administration de la collectivité est donc similaire au schéma que nous connaissons dans les régions et départements de métropole. Le mode de scrutin est identique au scrutin régional, la Guyane étant une circonscription unique composée de 8 sections.

La spécificité de cette collectivité réside davantage dans les autres organismes avec lesquels elle se doit de travailler, notamment le conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinenge (placé auprès du préfet). Enfin, le Président de la CTG préside également le Congrès des élus de Guyane composé des députés, sénateurs, maires et élus de la CTG. Seul ce conseil a autorité concernant les évolutions institutionnelles et les transferts de compétences de la collectivité territoriale de Guyane.



Au delà de ces différences, les échanges avec les élus de ces collectivités m’ont permis d’appréhender l’impact de ces évolutions :

Ce type de fusion a pu se développer car les périmètres géographiques de la région et du département étaient identiques. C’est un critère d’importance que chacun de mes interlocuteurs a souligné explicitement ou implicitement. Sans cela un tel processus aurait surement été plus complexe, en témoigne l’expérience actuelle de la Corse.

Une fusion implique nécessairement un processus d’acceptation et d’adaptation des agents et des élus des collectivités initialement concernées. Les pratiques administratives et opérationnelles des régions n’étant pas les mêmes que celles des départements, l’harmonisation de l’ensemble est un chantier d’importance qu’il est impératif d’anticiper en amont de la fusion au risque de ralentir considérablement les mécanismes d’exécution des décisions.

Comme pour les nouvelles régions métropolitaines, si une fusion semble évoquer la réalisation d’économies, cette vision est valable à moyen et long terme. A court terme, au contraire, l’harmonisation des politiques comme des conditions des agents peut entrainer des dépenses supplémentaires.

Une fusion ne répond pas nécessairement à la logique cartésienne du 1+1=2 en termes financiers. Au contraire, le périmètre géographique et démographique restant le même, la fusion des budgets peut entrainer la sortie de dispositifs complémentaires de l’Etat auxquels l’une ou l’autre des collectivités était auparavant éligible.

Enfin, si le système institutionnel de la Guyane n’implique pas de grands changements de gouvernance, celui de la Martinique, notamment l’articulation entre l’exécutif et l’assemblée risque de nécessiter un véritable temps d’adaptation avant de permettre un usage complet des dispositions qu’elle offre. Certaines précisions vont d’ailleurs devoir être abordées rapidement, puisque si l’assemblée de Martinique délibère sur les affaires de la collectivité, c’est bien l’exécutif qui engage les dépenses et le personnel, y compris ceux de l’assemblée, ce qui peut interroger quant à l’effectivité de la séparation des pouvoirs initialement envisagée.

Pour finir, il me semble donc important, pour assurer la pleine réussite de ces fusions, que celles-ci soient issues de la volonté des territoires et de leurs habitants mais surtout qu’elles soient préparées en amont et dans l’ensemble des domaines afin d’anticiper au mieux les potentiels déconvenues qui pourraient se produire dans leur mise en œuvre concrète.


La Guyane et la Martinique doivent nous permettre d’ouvrir une réflexion globale sur l’évolution de nos collectivités afin que chacun des territoires de la République puisse s’appuyer sur des institutions efficientes.