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REFORME TERRITORIALE : INTERVENTION DE MARIE-FRANCOISE PEROL-DUMONT A L'ASSEMBLEE NATIONALE

Alors que la discussion générale sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales s'est ouverte mardi 25 mai à l'Assemblée nationale, vous trouverez ci-dessous la retranscription intégrale de l'intervention de Marie-Françoise PÉROL-DUMONT (Présidente du groupe majoritaire de l'ADF et députée de la Haute-Vienne) prononcée hier soir à la tribune :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’arriver dans cet hémicycle, ce projet de loi a déjà fait couler beaucoup d’encre et de salive. Comment pouvait-il en être autrement avec un texte qui repose largement sur des présupposés fallacieux et dont les objectifs sont essentiellement politiciens et idéologiques ?

Face au torrent de critiques suscitées de toutes parts, le Gouvernement a partiellement revu sa copie. Vous nous proposez désormais un texte « trois en un », incluant par voie d’amendements le mode de scrutin des conseillers territoriaux et la répartition des compétences.

En vérité, l’objectif du Gouvernement est clair : aller le plus vite possible pour faire adopter cette loi avant le 14 juillet et se débarrasser ainsi d’un texte qui lui colle aux chaussures tel un vilain chewing-gum.

Soit dit en passant, le fait que ces dispositions essentielles à l’économie du texte arrivent ainsi, quasiment en catimini, en dit long sur la considération dans laquelle nous sommes tenus, et constitue un bel exemple de la prétendue revalorisation du rôle du Parlement !

Avec ce projet de réforme, dont l’essence est profondément recentralisatrice, c’est la première fois, tous gouvernements confondus depuis la décentralisation de 1982, qu’un texte concernant les collectivités locales cherche à les affaiblir plutôt qu’à les conforter.

Vous comprendrez aisément que nous n’accepterons pas un tel recul qui, en la matière, ramènerait la France près de trente ans en arrière, au détriment des politiques locales conduites en faveur de nos concitoyens.

Aussi notre groupe s’opposera-t-il à chacun des éléments néfastes contenus dans ce texte. Pour ma part, je me limiterai à évoquer les départements et la création du conseiller territorial qui, nous l’avons bien compris, est pour le Gouvernement l’alpha et l’oméga de cette réforme, à telle enseigne qu’elle fait symboliquement l’objet de l’article 1er.

Comment ne pas se dire, face à l’absurdité de ce conseiller territorial, que le texte a été rédigé dans une parfaite méconnaissance du rôle et du fonctionnement des collectivités locales, qu’il fleure bon le technocrate parisien enfermé dans son bureau affairé à traduire en normes les orientations politiques qui lui sont assignées, oubliant au passage, entre autres, le principe de parité inscrit dans la Constitution.

L’impact de la campagne de dénigrement des élus locaux qui a accompagné la médiatisation de la réforme des collectivités locales a pu être mesuré lors des élections régionales, qui ont constitué un sondage grandeur nature. Les électeurs se sont prononcés et, à l’évidence, leur opinion n’a pas rencontré celle du Gouvernement.

Messieurs les ministres, ou plutôt monsieur le secrétaire d’État, puisque nous n’avons plus qu’un membre du Gouvernement en séance – j’espère au moins qu’il restera jusqu’à la fin – il faut entendre les citoyens qui plébiscitent, dans un récent sondage, la qualité des services publics locaux, avec 83 % de satisfaction globale. Il faut écouter les élus locaux et ne pas les traiter avec mépris et condescendance, notamment ceux issus des territoires ruraux – sur ce point, je rejoins ce que vient de dire notre collègue de droite – sur lesquels vivent, selon les chiffres officiels du ministère de l’espace rural, 11 millions d’hommes et de femmes qui méritent bien un peu de considération.

Cette connaissance du terrain aurait permis de définir les contours d’une véritable modernisation de l’organisation et du fonctionnement des collectivités territoriales, conforme à l’intérêt général. C’est elle que nous appelons de nos vœux et pour laquelle nous avons déjà fait de nombreuses propositions que vous avez refusé d’entendre – mais nous allons continuer. Près de trente ans après la création de notre république décentralisée, cette modernisation est une nécessité pour faire coïncider le monde vécu et le cadre normatif qui le régit. À l’évidence, votre texte, monsieur le secrétaire d’État, ne répond en aucun cas à ces objectifs, au moins en ce qui concerne les départements, auxquels 82 % de nos concitoyens, selon un sondage IPSOS paru à l’automne, sont profondément attachés.


La création du conseiller territorial, mesure phare de votre texte, est une conception fumeuse d’un élu hybride, s’inscrivant dans l’objectif clairement annoncé de réduction du nombre d’élus territoriaux, dans le but inavoué de parvenir à terme à « évaporer » les conseils généraux, selon la formule employée par un ancien Premier ministre, une formule certes élégante mais pour le moins perverse.

Bien évidemment, cette mesure est présentée comme une nécessaire rationalisation, source d’économies budgétaires conséquentes, que nul n’est pourtant parvenu à démontrer. Ces économies seront en fait dérisoires, si elles ne sont pas illusoires. Lors du dernier congrès de l’Association des départements de France à Clermont-Ferrand, M. le ministre de l’intérieur, dont je regrette l’absence, a estimé l’économie induite par la réforme à 70 millions d’euros – un chiffre que je vous invite à rapprocher du seul budget annuel de l’Élysée, de l’ordre de 140 millions d’euros. En réalité, le coût des élus locaux représente globalement moins de 0,3 % du budget de fonctionnement des collectivités, un coût plus que modéré et qui risque d’augmenter fortement avec la création du conseiller territorial, qui sera de fait un élu à plein-temps.

Quant à la gestion des collectivités territoriales, mieux vaudrait que le Gouvernement s’en inspire plutôt que de la stigmatiser, car 80 % du déficit public vous est imputable, monsieur le secrétaire d’État – pas à vous seul, bien sûr, mais à l’État. Les collectivités territoriales, quant à elles, représentent 10 % du déficit public, dont 3 % seulement sont imputables aux conseils généraux.

Oui, depuis un demi-siècle – je pourrais dire depuis un quart de siècle –, les collectivités territoriales ont prouvé que, sous le contrôle a posteriori des chambres régionales des comptes, elles géraient mieux que l’État, quel qu’il soit, au plus près des besoins de nos concitoyens, et le procès en « gaspillage d’argent public » que vous tentez de nous faire ne résiste pas à l’épreuve des faits. Vous savez bien, monsieur le secrétaire d’État, que vos présupposés de départ sont de mauvais prétextes.

En instaurant les conseillers territoriaux, ce texte invente une espèce de surhomme ou surfemme, sûrement génétiquement modifiée, qui devra tout à la fois gérer les arrêts de transport scolaire et les nids de poule sur les réseaux routiers, être une super assistante sociale sur un territoire généralement élargi, singulièrement dans les secteurs en déprise démographique, accompagner artisans, commerçants et entreprises, et assister aux réunions culturelles et sportives de leur secteur, avoir une vision prospective à quinze ou vingt ans sur l’évolution stratégique, sociologique, technologique, économique d’une région ; connaître les arcanes des différents fonds européens et, pour finir, siéger au sein d’une infinité de conseils, commissions, comités, conseils d’administration. Ce n’est pas sérieux, ce n’est pas viable sauf à être élu à plein temps, et vous le savez bien.

Avec le conseiller territorial, chacun des deux niveaux de collectivités perdra sa spécificité, impulsion et coordination pour la région, proximité pour le département – Jean-Pierre Balligand l’a dit précédemment. Déjà, les conseillers régionaux dénoncent la « cantonalisation » du mode de désignation. Je n’aime pas ce terme un peu condescendant, mais je comprends ce qu’ils veulent dire. Ils ont bien compris que les régions n’avaient rien à gagner avec le retour au système de l’ancien EPR alors que les conseillers généraux regrettent, quant à eux, de perdre la proximité essentielle à la mise en œuvre de politiques de solidarité entre les hommes et les territoires, qui sont leur raison d’être.

Ce mélange des genres va complexifier un système qui a fait ses preuves depuis plusieurs décennies. Aujourd’hui, nos concitoyens ont une véritable relation de proximité avec les conseillers généraux, qui se dévouent pour améliorer le quotidien du plus grand nombre. Et il y a beaucoup à faire dans le contexte actuel. La forte participation lors des élections cantonales en est l’une des manifestations les plus frappantes.

Une évolution est certes nécessaire, notamment pour harmoniser la taille des cantons. Mais elle aurait dû être en lien avec la structuration qu’ont connue nos territoires ruraux avec la création des communautés de communes, grâce, soit dit en passant, aux lois que la gauche a fait voter.

Car, à l’évidence, il existe deux blocs d’action publique parfaitement complémentaires. Le bloc local, composé des communes, communautés de communes et des départements, qui est celui de la proximité et de la solidarité. Le bloc région-État-Union européenne, quant à lui, est celui de la stratégie et du développement économique à grande échelle, bref, de la prospective. Pourquoi vouloir supprimer un mécanisme construit patiemment depuis bientôt trente ans et qui fonctionne globalement plutôt bien ?

Accepter la fin du couple commune-département signe la fin de nos territoires ruraux. Qui peut imaginer que des communes ou groupements de communes de 5 000 à 10 000 habitants pourront, demain, conduire à terme des projets structurants avec un seul partenaire ? Pensez-vous que, désormais, il sera possible, dans ces conditions, de construire une piscine, par exemple, quand on sait le coût de ce type d’équipement pourtant indispensable à l’initiation des scolaires ?

Vous semblez oublier que les départements sont devenus, avant l’État, les partenaires privilégiés de ces cellules de base de notre démocratie que sont les communes. Il est évident qu’avec une telle vision du devenir de nos collectivités locales nous connaîtrons moins de proximité, moins de services rendus aux habitants, moins d’équité d’accès aux équipements. En bref, moins de démocratie. Plusieurs orateurs l’ont dit, c’est l’ouverture à la loi du marché, c’est la liberté du renard dans le poulailler. Et dans ce cas de figure, les poules gagnent rarement…

Pour être tout à fait objective, je dois reconnaître, monsieur le secrétaire d’État, que votre texte a évolué, aidé grandement dans cette voie par la mobilisation des élus locaux, toutes opinions politiques confondues, il faut le reconnaître.

Je vous confirme que le conseiller territorial est pour nous un non-sens et que nous le combattrons avec force et vigueur. Si nous avions adhéré à cette idée saugrenue, nous n’aurions pu que nous satisfaire de la disparition du mode de scrutin initialement prévu, dont la singularité au regard de notre tradition républicaine avait conduit à un rejet quasi unanime, tant il était mal ficelé et dissimulait difficilement les objectifs électoralistes qu’il cherchait à servir – Élisabeth Guigou l’a largement démontré hier.

La raison a également partiellement prévalu sur la question des compétences des départements et régions, puisque celles-ci se dessinent en quelque sorte désormais en creux dans le projet de loi avec, au final, des dispositions plus modérées que l’abrupte suppression annoncée de la clause de compétence générale. Encore que l’étranglement financier auquel vous soumettez ces collectivités les conduise à abandonner de fait nombre d’actions pourtant fort utiles à nos concitoyens. Ainsi sommes-nous par votre faute tous frappés du syndrome de Stockholm.

L’abandon du projet de loi spécifique, qui devait être consacré à la question des compétences, sonne le glas de cette idée inapplicable de spécialisation radicale de chaque niveau de collectivité, qui aurait conduit à totalement sinistrer l’aménagement de nos territoires et à, par exemple, faire disparaître le lien social essentiel au vivre ensemble apporté par le secteur culturel et sportif. La mobilisation de ce secteur, que nous avons largement suscitée, vous a aidé à évoluer un peut sur ce sujet. Encore ne faudrait-il pas que l’État en profite pour transférer les rares compétences qu’il avait gardées en matière culturelle et sportive, se délestant ainsi, une fois encore, sur les collectivités.

Ces évolutions sont les premiers fruits d’un long combat qu’ont conduit les élus depuis le début de l’automne dernier et que notre groupe entend poursuivre au cours de l’examen des articles, afin de défendre pied à pied notre conception de la République décentralisée.

J’aimerais conclure cette intervention en citant quelques lignes d’un homme qui aimait les assemblées locales et particulièrement les conseils généraux, pour avoir fréquenté celui de la Nièvre pendant près de trente-cinq ans. Contrairement à l’actuel Président de la République qui n’a, semble-t-il, pas passé assez de temps dans le sien pour en percevoir l’utilité, François Mitterrand était fier du rôle de cette institution historique mais d’une grande modernité car ancrée dans le penser global et l’agir local.

Ces quelques phrases, prononcées le 22 mars 1990 à Moulins, à l’occasion du bicentenaire de la création des départements, raisonnent aujourd’hui encore avec un certain écho : « II peut sembler paradoxal de penser que l’avenir des départements, qui ne représentent chacun que la centième partie du territoire français, puisse être comme une sorte de tremplin pour aborder les problèmes de l’Europe et du monde. Et pourtant, c’est à partir de là que les choses commencent, c’est à partir de là que les choses se font car le paradoxe n’est qu’apparent et l’exemple de l’Assemblée Constituante est là pour nous rappeler qu’on ne peut viser l’universel qu’en prenant appui sur l’ensemble des réalités nationales, dans ce qu’elles ont de plus divers et de plus singulier. » 
 
[Extrait du compte-rendu intégral de la séance disponible sur le site de l'Assemblée nationale]

Vous pouvez également retrouver ici la motion de renvoi en commission défendue au nom du groupe socialiste par Bernard DEROSIER (Député du Nord, Président du Conseil général)